À 5 000 m d’altitude, sur le toit de la Turquie 

Aux confins de la Turquie se dresse une montagne qui dépasse de plus de 300 mètres le mont Blanc. Bienvenue sur le Mont Ararat et ses 5 137 mètres d’altitude. We Rock Sport s’y est rendu récemment, pour y découvrir ce volcan endormi lors d’une randonnée jusqu’au premier camp de base. 

« Regarde de ce côté, c’est l’Iran en face de toi. Là-bas derrière, à une vingtaine de kilomètres, tu tombes sur la frontière arménienne. Et à la même distance plus au sud, c’est le Nakhitchevan, une république autonome d’Azerbaïdjan ». En un instant, les paroles du guide qui nous accompagne sur cette randonnée au Mont Ararat, permettent de mieux saisir l’espace et la situation spécifique du plus haut sommet de Turquie. Là, à 3 200 mètres d’altitude, au premier camp de base (un deuxième est posé à 4 000 mètres), l’histoire se contemple avec les yeux depuis une montagne qui a toujours attisé les croyances religieuses et les convoitises des peuples dominants de la région. Romains, Perses, Arabes, Ottomans, Russes, Turques… À 5 137 mètres d’altitude, le drapeau a souvent changé de couleur et aujourd’hui encore, même le nom de cette montagne prête à débat.

© Vincent Girard

S’il est couramment appelé Ararat par une large partie de la communauté internationale et par les locaux sur place, le terme de Mont Agri (du nom de la province où se situe la montagne) a la préférence du gouvernement turc. Cet ancien volcan, formé au fil des années par l’accumulation de coulées de lave et de projections, est au cœur d’un petit massif de 23 kilomètres de long et 18 kilomètres de large. Une géologie qui permet d’admirer parfaitement la montagne à plus de 100 km à la ronde. Le Mont Ararat est situé entre les provinces frontalières de Ağrı et Iğdır qui sont peuplées majoritairement de Kurdes et d’Azéris. Sa première ascension date de 1958 et fut réalisée par le médecin et explorateur badois Friedrich Parrot. 

Le Mont ARARAT © 2020 Türkiye

Pour atteindre le Mont Ararat, il faut d’abord prendre un vol intérieur depuis Istanbul jusqu’à Agri. Puis par la route, c’est par une interminable ligne droite de près de 120 km que l’on se rapproche du but. En ce mois d’août, les paysages arides défilent sous les yeux. Les villages sont rares dans ces steppes immenses mais l’on aperçoit tout de même régulièrement des bergers avec leurs troupeaux. Souvent des hommes seuls, sans aucune habitation alentour. Ici, pas de clôture ou de barbelés pour parquer vaches et moutons. Les animaux ont toute liberté pour vaquer sur ces milliers d’hectares de l’extrême est de la Turquie. Assis sur une pierre, la plupart des bergers semblent être là pour l’éternité, se contentant de suivre le mouvement des bêtes selon l’envie et la faim de ces dernières. 

© Vincent Girard

Puis, un peu avant Doğubeyazıt (l’une des dernières grosses villes turques avant la frontière arménienne) le Mont Ararat apparaît. Il est immense avec son petit dôme de neiges éternelles. On distingue juste à ses côté le petit Ararat, un sommet voisin d’une dizaine de kilomètres de son grand frère, haut de 3 896 mètres et dont le flanc sud-est se trouve en territoire iranien. En été, ce dernier est totalement vierge de poudreuse. Reliés par un plateau de lave, les deux sommets n’attirent plus l’œil des locaux de la ville de Doğubeyazıt, davantage curieux de nous voir photographier cette montagne toute proche. Cette cité d’un peu plus de 100 000 habitants, semble d’ailleurs ne pas encore profiter pleinement du tourisme sportif lié au Mont Ararat tout proche. Les visiteurs sont plus nombreux à venir admirer les enceintes argileuses jaunes et ocres du superbe palais Ishak Pasa, posé sur le haut d’une colline à quelques kilomètres à l’est de Doğubeyazıt.

Dans la ville, un seul magasin vend des équipements liés à la pratique de la randonnée et les quelques bureaux d’agences locales qui proposent l’ascension n’ont pas vraiment pignon sur rue. Ici, c’est le quotidien qui préoccupe les locaux. La vie n’est pas forcément facile dans cette partie pauvre de la Turquie. Aux feux rouges, des enfants nettoient les pare-brises en échange de quelques livres turques. D’autres, qui viennent probablement de sortir de l’école avec leur cartable sur le dos, vendent des paquets de mouchoirs au coin de la rue. Dans le centre de la ville, les femmes sont rares. Ce sont les hommes qui prennent possession des terrasses des kebabs et des nombreuses enseignes qui vendent les fameux baklavas, ces desserts turcs remplis de sirop de sucre. Sur chaque table, le thé est de rigueur et servi régulièrement à tout moment de la journée.

Dans la ville de Doğubeyazıt © Vincent Girard

Dans cette région kurde de la Turquie, les tensions sont également multiples, que ce soit entre Ankara et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ou entre l’Arménie et le binôme Turquie/Azerbaïdjan. Sur place, les checkpoints sont nombreux et on croise régulièrement des véhicules de l’armée turque sur les grands axes routiers. Ces affrontements réguliers n’ont pas encore permis au tourisme de se développer. Mais le gouvernement turc espère bien inverser la tendance. C’est dans ce sens qu’il a de nouveau autorisé l’ascension du Mont Ararat depuis février 2021. Ce sommet a d’ailleurs de quoi attirer les touristes occidentaux, avides de montagnes plus faciles à gravir que celles des Alpes et des Pyrénées et désireux de cocher « un 5 000 » à leur tableau de chasse. Car le Mont Ararat n’est pas difficile techniquement malgré ses 5 137 mètres d’altitude. « Si tu es capable de marcher plusieurs heures sur des forts dénivelés et d’être patient pour permettre à ton corps de t’habituer à l’altitude, il n’y a rien d’insurmontable » reconnait d’ailleurs Erhan, notre guide kurde qui nous accompagne ce jour-là. « Il faut juste mettre des crampons une fois arrivé sur la neige de la calotte glaciaire vers 5 000 mètres pour atteindre le sommet ». L’ascension ne nécessite d’ailleurs pas d’encordement, la pente reste faible et aucune crevasse n’est recensée. Au total, comptez quatre à cinq jours sur place minimum selon les conditions météos. 

© Vincent Girard

Avant d’atteindre le premier camp de base à 3 200 mètres d’altitude, le minibus d’un autre âge dans lequel on a pris place est bien en peine d’avaler le dénivelé sur le sentier 4×4. Ce chemin que l’on emprunte après avoir quitté la route bitumée quelques kilomètres après Doğubeyazıt, est parsemé de cailloux et de trous. Et même si l’altitude nous fait perdre quelques degrés, il fait encore chaud dans l’habitacle. Mauvaise idée alors que d’ouvrir les fenêtres. Le sable et la poussière soulevés par le véhicule s’engouffrent partout. Tour de cou et foulard sur le nez, on attend l’injonction du conducteur de descendre du minibus pour respirer un bon coup. Le vieux tacot est prêt à rendre l’âme et il faut laisser refroidir le moteur avant de repartir. 20 minutes plus tard, nouvelle tentative finalement rapidement avortée. Le reste se fera à pied.

cERTAINS SENTIERS PERMETTENT DE COUPER LES LONGS LACETS QUI MeNENT AU PREMIER CAMP DE BASE. © Outdoors.nl

Cette partie de l’ascension du Mont Ararat n’est pas la plus difficile. Sur ce large sentier, une marche tranquille de 7 km environ et de 1 000 mètres de dénivelé emmène au camp de base numéro 1. Le tracé serpente sur la montagne mais il est possible de couper les lacets en prenant des petits sentiers nettement plus techniques et dénivelés, tracés entre des grosses pierres. Sur le chemin, on croise des hommes qui guident chevaux et mules jusqu’aux deux camps de base. 90 kg de matériel sur chaque bête, soit l’équipement de trois candidats à la montée finale. À 3 200 mètres, on arrive au camp de base numéro 1. Sur un petit plateau, une vingtaine de tentes de différentes tailles sont gérées par plusieurs agences. S’il est évidemment possible de prévoir l’ascension en réservant en amont un voyage tout compris pour environ 2 000 euros (hors avion mais avec permis d’ascension, guide, nourriture et transferts sur place), les locaux conseillent davantage de le faire sur place via les agences basées à Doğubeyazıt. Le coût est bien moindre et la prestation équivalente car assurée par les mêmes personnes. 

© Outdoors.nl

Au camp de base, toilettes sèches, tentes de cuisiniers et tuyaux d’eau relié à l’une des sources de la montagne assurent l’essentiel. Les déchets sont très rares, mais cela n’a pas été toujours le cas comme nous le confirment plusieurs guides rencontrés sur place. Une opération orchestrée par le gouvernement a en effet permis un nettoyage de grande ampleur des deux camps de base qui étaient jusque-là jonchés de détritus. Un exemple supplémentaire de la volonté de la Turquie d’attirer plus de touristes sur le Mont Ararat. Après s’être ravitaillé rapidement dans une des grandes tentes du camp, on contemple le sommet, immaculé de neige et qui joue à cache-cache avec les nuages. Dans la tente d’à côté, un guide iranien (une nationalité que l’on retrouve beaucoup sur place) m’explique qu’il organise l’ascension finale de deux de ses clients allemands. Visiblement, ces derniers se sont régalés d’un récent méchoui. À quelques mètres, une peau de mouton posée à même le sol indique que l’animal a été dépecé il y a peu. 

© Vincent Girard

En levant les yeux, on distingue deux groupes de randonneurs qui redescendent du camp de base numéro 2. Au moins un aller-retour est nécessaire avant l’ascension finale pour habituer le corps à l’altitude. « Avant que le gouvernement réglemente les ascensions avec les permis, chacun faisait un peu comme il le voulait » m’explique le guide iranien. « On en voyait qui arrivaient sur place et enchainaient directement sur le sommet. C’était un peu le bazar. Aujourd’hui, il faut prendre un guide et rester sur place 4 ou 5 jours pour pouvoir prétendre atteindre le sommet. » De notre côté, l’ascension sera pour une autre fois. À regret car la plus haute montagne de Turquie nous fait de l’œil, et l’envie de pousser un peu plus haut est prégnante. 

 
 
 
 
 
Voir cette publication sur Instagram
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Une publication partagée par François Pera (@francoispera)

Le retour se fait sur le même chemin qu’à l’aller, unique voie pour accéder au Mont Ararat. On a alors tout le temps de prendre conscience de l’importance de cette montagne dans la tradition chrétienne. Le mont Ararat est en effet le lieu où l’Arche de Noé se serait échouée après le Déluge. Selon la Bible, ce navire aurait été construit sur l’ordre de Dieu afin de sauver Noé, sa femme, ses trois fils et leurs épouses. Se trouvait également à bord sept couples de tous les animaux « purs ». Or, en 1958, un capitaine de l’armée turque a identifié près du village d’Uzengili à une vingtaine de kilomètres du Mont Ararat, une formation rocheuse censée représenter les traces laissées par l’arche de Noé.

La formation rocheuse qui reprend la structure d’un bateau censé être celui de l’Arche de Noé © 2020 Türkiye

Mais les études scientifiques sérieuses restent encore limitées sur le sujet. En voyant la structure et en marchant à l’emplacement même de ce que certains présentent comme un lieu désormais sacré, difficile effectivement de se faire une idée définitive. Si vous venez en Turquie pour le Mont Ararat, privilégier vos efforts sur la montagne. Avec du temps devant vous, des jambes et l’envie d’y croire, poussez l’expédition jusqu’à ce lieu supposé de l’Arche de Noé. Et s’il est trop tard pour vous rendre sur place, pas d’inquiétude. Car comme disait Jésus : « Heureux celui qui croit sans avoir vu ».

© Vincent Girard